Non que l’article d’Olivier Adam ne soit digne d’intérêt, non qu’il n’ait son quota de pertinence, non que Pierre Bourdieu ne soit un grand penseur des tensions osmotiques qui jouent entre les classes sociales, mais quelque chose renâcle en moi à cette lecture.

Je pourrais pourtant en faire mon miel, m’en frotter les mains tant il pourrait constituer la justification de l’insuccès dans mes tentatives d’avoir le crédit d’un écrivain. Mais non, l’existentialiste en moi rechigne à tout ça ! Trop facile ! Je ne peux faire mon affaire d’un constat statistique ; la philosophie prévaut en moi : l’éthique de l’existence.

Et je ne reconnais pas au déterminisme bourdieusien l’absence de jeu, le total déni de liberté, cette absence et ce déni qui caractérisent les relations de cause à effet. Ce serait plutôt à mon sens un déterminisme a posteriori, dont les ressorts, écrasés par la masse, ont perdu toute rigidité ; un déterminisme qui noierait dans sa résultante la dynamique des initiatives individuelles.

Un mot est curieusement absent de l'article d'Olivier Adam : imaginaire.

La littérature serait bourgeoise (et là, je vois tout Flaubert se hérisser comme une rascasse), œuvre de nantis inexperts à écrire sur le peuple, peu enclins à faire roman de vies banalement noyées dans la pauvreté matérielle et culturelle.

Je m’inscris en faux contre cette proposition : sans remonter à Zola, bien des auteurs contemporains sont issus de classes peu favorisées et ont écrit sur elles, ont enchaîné longtemps petits boulots sur missions d’intérim, sans autre ambition que de plume ; sans se référer au cliché de l’écrivain maudit, passant l’hiver dans sa mansarde à la seule chaleur de son enthousiasme à l’œuvre, je ne vois pas que, d’histoires ou de personnages, il n’en est que de bourgeois.

Ce que je reconnais, en revanche, c’est le peu de goût du roman pour le banal, le moyen, le rebattu, le quotidien, le standard, la demi-mesure qu’il aurait plutôt tendance à prendre à revers, sauf à exacerber la pauvreté qu’il traîne alors jusqu’à la misère. Il serait alors plus avisé de dire que rien ne le rebute autant que la classe moyenne.

Parce que la littérature n’est pas la sociologie, ce ne sont jamais des masses désindividualisées qu’elle traite, mais, au rebours, des individus qu'elle extrait, qu'elle extirpe de ces masses mêmes : des existences plutôt que des fata.

Et ces figures individuelles, évidemment chargées des pesanteurs sociales, en portent les coutures, à leur façon, révoltée, qui est celle de la littérature.

Dominique Drouin
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